« Pinault se débarrasse de la FNAC ». Fin 2012, début 2013, la formule revient en boucle dans Le Monde, Challenges, Libération ou encore le Huffington Post. L’enseigne est alors à la veille de son introduction sur le marché parisien, et le titre connait le 20 juin 2013 des débuts difficiles, « chutant de 10% à 19,84 euros à mi-séance » ; 27 mois plus tard, le 30 septembre 2015, la Fnac rend public son offre d’acquisition de Darty, pour un montant de 720 M€. Dans l’intervalle, la société est redevenue rentable (15 M€ de résultat net en 2013 et 41 M€ en 2014, après 115 M€ de pertes en 2012), elle a reconstitué sa trésorerie (535 M€ à fin septembre 2015), ses ventes ont retrouvé le chemin de la croissance en 2014, après 4 années de recul ininterrompu, et son cours de bourse a été multiplié par trois (59,75€ en clôture ce mardi 27 octobre).
Le retournement effectué par Alexandre Bompard et ses équipes mérite en soi d’être salué. A l’heure où la transformation digitale est au cœur des réflexions, il constitue une belle étude de cas de l’adaptation du « dirigeant à l’accélération numérique », selon les termes de l’ouvrage publié par le COO du groupe Dentsu Benjamin Grange. Et comme souvent, la stratégie poursuivie pourrait emprunter au « bon sens près de chez vous » popularisé par le Crédit Agricole :
- Repenser l’assortiment: prenant acte de l’effondrement des CD et DVD la FNAC a réduit leur place dans le linéaire et introduit de nouvelles catégories de produits (jeux, jouets, téléphonie, petit électroménager, papeteries, objets connectés qui pèsent déjà pour plus de 15% du chiffre d’affaires), sans renier pour autant son statut « d’agitateur culturel » : à défaut d’être disponibles dans les magasins, CD et DVD peuvent être commandés à travers le site Web, l’application… ou avec l’aide des vendeurs.
- Rassembler le click et le mortar: quand la FNAC de la fin des années 2000 laissait cohabiter en silos réseau physique et développements digitaux (jusqu’à promouvoir deux marques distinctes Fnac et fnac.com), modernisation des terminaux point de vente, formation des vendeurs, adaptation des modes de rémunération et lancement de nouveaux services se sont combinés pour garantir aux clients simplicité, fluidité et qualité d’exécution de cette nouvelle expérience omnicanale. CD, DVD… mais au-delà l’ensemble de l’offre de la FNAC peut désormais être récupéré en magasin une heure après avoir été commandé (click and collect) ou livré à domicile en trois heure (Fnac Express)… Les ventes omnicanales ont ainsi représenté 47,4% des commandes au 3e trimestre 2015, contre 34,1% un an plus tôt.
- Multiplier les points de contacts: jouant le développement conjoint plutôt que la substitution, la Fnac a complété cette stratégie en relançant les ouvertures de points de vente, sur des surfaces plus limitées (80 m2) puisque l’ensemble de l’assortiment n’a plus à y être présenté. Ceci a permis de pousser l’enseigne vers des territoires (gares, aéroports, agglomérations de taille moyenne…) dans lesquelles les magasins traditionnels peineraient à amortir leurs centaines de mètres carrés.
- Jouer la proximité dans le développement international : mettant en pause – provisoirement ? – les développements vers les horizons lointains (à l’exemple de l’aventure brésilienne initiée en 1999), la FNAC privilégie aujourd’hui la proximité géographique (Belgique, Suisse, péninsule ibérique…) et culturelle : elle ouvrira fin 2015 ses deux premiers magasins en Afrique subsaharienne en Côte d’Ivoire.
Au-delà des résultats qu’il a permis d’engranger, le succès de la réinvention de la Fnac se lit également en creux. Avec l’adossement progressif des leaders du e-commerce à des acteurs historiques de la grande distribution – Cdiscount racheté par Casino, Rue du Commerce par Carrefour ou encore MisterGooddeal par… Darty – ou avec la difficulté de ce dernier à suivre la même trajectoire : chiffre d’affaires en recul de 40% et pertes cumulées dépassant les 370 M€ sur quatre ans.
Le rapprochement de la Fnac et Darty se justifie donc d’abord par l’espoir que les recettes appliquées par le premier aideront le second à rebondir.
La création d’un « poids lourd » conforterait ses positions en France comme à l’international (la Belgique est le seul territoire dans lequel Darty et la Fnac sont tous les deux présentes) et lui permettrait d’améliorer ses termes de négociation avec les géants mondiaux de la fabrication de devices numériques (Apple, Samsung…).
Elle permettrait enfin de ramener sous pavillon tricolore le groupe fondé par les frères Darty, en même temps qu’elle constituerait une vitrine naturelle pour les productions des leaders de la French Tech.
Autant d’éléments qui poussent à un contrat de confiance entre les deux groupes !
Philippe Bailly, Président de NPA Conseil