A l’occasion des 27èmes Rencontres Cinématographiques de l’ARP, qui se déroulaient du 12 au 14 octobre derniers à Dijon, une table-ronde était consacrée à la question de la régulation et de la façon de consolider la place des partenaires « traditionnels » du cinéma, tout en accueillant les nouveaux acteurs du secteur. Avec la participation de la députée Emilie Carriou (LREM), le DG du CNC Christophe Tardieu, Eric Peters de la Commission européenne et Peter Dinges, président du « CNC européen », les débats ont principalement tourné autour de la fiscalité des géants du numérique, la responsabilité des plateformes en ligne et la réponse nationale et européenne au piratage.
Quelques jours après le discours sur l’Europe du Président de la République et les récentes prises de position de l’exécutif sur la fiscalité des « géants du Net », Emilie Carriou, députée LREM et Vice-présidente de la commission des finances de l’Assemblée, a souligné l’importance de répondre avec urgence à la numérisation de l’économie et à l’évasion fiscale en trouvant une nouvelle définition de « l’établissement stable ». Il est selon elle primordial de rattacher cette notion à « l’endroit où est créée la valeur » et d’intégrer les nouveaux acteurs « d’abord dans les modalités de financement ».
Forte de son expérience au cabinet de Fleur Pellerin au numérique et à la culture, puis d’Audrey Azoulay, la députée a rappelé que le gouvernement français tout comme l’OCDE travaillent depuis 2012 sur ces chantiers. « Le problème c’est qu’à l’OCDE, il y a aussi des américains qui n’ont pas nécessairement envie de changer cette notion d’établissement stable », a-t-elle concédé. Désormais, le sujet est posé aussi au niveau européen, avec la reprise du dossier sur la création d’une « assiette globale » de taxe sur les bénéfices des entreprises pour toute l’Europe, sur lequel « la Commission avance bien ». Quant à la proposition de Bruno Le Maire de taxer le chiffre d’affaires des plateformes en ligne, elle rappelle que ce ne peut être « qu’une mesure intermédiaire qui ne remplace en rien la taxation des résultats ».
Pour Eric Peters, senior advisor au cabinet de la Commissaire européenne à l’économie et à la société numériques, Mariya Gabriel, l’action de la Commission sur ces chantiers est guidée par la nécessité de comprendre le fonctionnement des nouveaux acteurs et « de ne pas détruire l’écosystème des plateformes ». Toutefois, « l’idée selon laquelle on ne peut pas lutter contre et encadrer les grandes structures est fausse », ajoute M. Peters.
Le Directeur Général du CNC, Christophe Tardieu, considère que la question de la fiscalité sera « vraisemblablement l’une des premières lignes » dans les discussions en cours sur la réforme de la chronologie des médias : « la première des vertus ou des morales est qu’on paie ses impôts en France lorsqu’on exerce une activité en France. C’est valable pour des grandes plateformes internationales et c’est valable pour des acteurs qui se disent français alors qu’ils sont installés dans des pays proches qui ont des climats tout à fait différents ». Il s’est félicité au passage de l’entrée en vigueur des taxes dites « Netflix » et « YouTube » qui, malgré un faible taux d’imposition (2 % du chiffre d’affaires), restent selon lui une victoire. « Ce n’est peut-être pas assez », accorde-t-il, « mais sur la promotion des œuvres européennes, qui eut cru que l’on aurait obtenu 30 % d’œuvres européennes » dans le cadre des négociations sur la directive SMA. Pour Christophe Tardieu aujourd’hui, « la voix de la France dans les domaines de la culture, de la cinématographie est forte ». L’enjeu serait maintenant de convaincre les grandes plateformes que « c’est de leur intérêt même que les consommateurs puissent avoir accès à la plus grande diversité culturelle possible ». « Plus elle sera respectée, plus la satisfaction du consommateur sera forte », selon le CNC.
Sur les quotas d’œuvres sur les plateformes, Peter Dinges, Président des EFADs (European Film Agency Directors, regroupant les dirigeants des CNC européens) a suggéré l’adoption de quotas « d’œuvres non-nationales » qui permettraient de renforcer la circulation des œuvres au sein de l’Union. Un SMAD visant le public italien serait par exemple tenu de diffuser un certain pourcentage d’œuvres européennes non-italiennes. Un point de vue partagé par Eric Peters : « c’est au cœur de ce que le programme MEDIA peut faire ».
La voix de la France s’est aussi fait entendre en matière de droit d’auteur, rappelle Emilie Carriou : « on a pu défendre l’exception culturelle avec des arguments économiques » auprès des cabinets des commissaires Juncker, Oettinger ou Ansip et « changer la directive droit d’auteur pour arriver à une responsabilisation des plateformes ». La députée soutient la position de nombreux eurodéputés français au Parlement européen, selon laquelle les « plateformes telles que YouTube ou Facebook ne sont pas des hébergeurs car elles éditorialisent des contenus et servent directement des spectateurs finaux ». Selon Eric Peters, la Commission souhaite désormais que le chantier droit d’auteur soit « adopté le plus vite possible pour qu’il soit mis en œuvre et que l’on puisse assurer qu’il y ait une similarité de traitement entre acteurs ». Pour rappel, les négociations au Parlement européen ont pris du retard par rapport au calendrier initial qui prévoyait une adoption définitive avant fin 2017.
Autre combat essentiel aux créateurs : la lutte contre le piratage. Sur ce point, Christophe Tardieu du CNC s’est félicité d’avoir « des alliés au Parlement » qui vont lui « permettre de mener beaucoup de combats à l’Assemblée ». L’allemand Peter Dinges a fait part de son « admiration » pour l’action de la France et de la Hadopi contre le piratage en ligne. Interrogé sur la question du succès allemand dans la lutte contre le piratage, Peter Dinges a souligné le fait que le contexte ait fondamentalement changé depuis 5 ans, époque à laquelle l’Allemagne était « très active » sur le sujet. Selon lui, « la fondation du parti pirate » et son succès croissant dans plusieurs élections régionales a mis un véritable « coup de frein » au mouvement anti-piratage. De plus, avec la concentration des activités de la Motion Pictures Association of America à Bruxelles, Peter Dinges regrette un impact négatif sur le financement des actions locales et régionales. « Ils pensent qu’un problème international doit avoir une réponse internationale. Mais sans la MPAA [au niveau régional], ça ne marche plus car l’argent manque partout », ajoute le Président des EFADs.
Sur ce point, la Ministre de la Culture Françoise Nyssen avait, plus tôt dans la journée, rappelé que la lutte contre le piratage constituait l’un des chantiers majeurs de son action : « c’est notre modèle de société qui est en jeu ». Il faut selon elle « aller plus loin dans la lutte contre le streaming illégal, qui constitue l’essentiel du piratage et n’est pas couvert par la riposte graduée ».
Enfin, le président de l’ARP, Radu Mihaileanu, a défendu la « simplicité » de la création d’une plateforme européenne de vidéo à la demande. Selon lui, pour répondre aux « difficultés » juridiques de ce projet pointées par Christophe Tardieu, « les ayants droit devraient remplir une déclaration au bout de six mois ou un an qui permettrait de libérer des droits pour cette plateforme pour les territoires non vendus ». La députée de la majorité, Emilie Carriou, a apporté son soutien au réalisateur, signalant que « si on ne monte pas une telle plateforme, un autre le ferra à notre place : c’est YouTube ». Selon elle, YouTube est le seul acteur aujourd’hui à disposer d’un registre de droits assez robuste pour proposer une telle plateforme grâce à son mécanisme de gestion des droits numériques (DRM) par empreinte, qui permet aux ayants-droits de « renseigner les territoires sur lesquels une œuvre est commercialisée et qui détient les droits sur quelles plateformes ». « Je préfère que ce soit nous qui montions cette plateforme plutôt que YouTube », conclut-elle.