Alors que 5 pure-players média vidéo se lancent sur le marché français[1], leur présence exclusivement sur les réseaux sociaux soulève des questions sur leur dépendance vis-à-vis des GAFA et la pérennité de leur modèle économique. Questions d’autant plus légitimes quand les fleurons des nouveaux médias américains traversent une mauvaise passe.
BuzzFeed et Vice Media : des revenus décevants
Le pure-player mêlant divertissement et informations vient d’annoncer des revenus inférieurs de 15% à 20% par rapport à ses prévisions (entre 280M$ et 300M$ vs 350M$). La perspective de son entrée en bourse, initialement prévue en 2018, disparaît et ce, malgré une valorisation de l’ordre de 1,7Md$ (NBC Universal y a réinvesti 200M$ en 2016). Vice Media ne remplit lui-non plus pas ses engagements financiers avec un chiffre d’affaires en-deçà des 800M$, qui remet drastiquement en cause sa valorisation évaluée à 5,7Mds$ lors du dernier tour de table en juin dernier.
Mashable : une valorisation divisée par 5
Autre pépite du Web, l’éditeur Mashable cherche un repreneur. Mais sa situation financière fragile réduit sensiblement ses marges de négociation et de valorisation. Le titre pourrait être repris par le groupe de médias Ziff Davids, spécialisé dans les thématiques Tech, Gaming, Santé et Shopping, pour un montant de 50M$, soit 5 fois moins que sa dernière valorisation. Selon le Wall Street Journal, « la faiblesse du prix de rachat indique que, pour les acquéreurs, les médias pure-players restent un pari risqué ».
Monétisation difficile et situation de dépendance
Toutefois, ce n’est pas la première fois que ces éditeurs déçoivent les attentes des marchés, malgré leurs audiences puissantes. En effet, depuis 2015, les projections internes de BuzzFeed ne sont pas atteintes. Celles de 2016 avaient dû être divisées par 2 à 250M$. La bulle semble prête à se dégonfler, car depuis leur création, ces médias n’ont jamais fait reposer leur activité sur un modèle pérenne de monétisation de leurs contenus. Or, pour justifier les nouvelles levées de fonds, ils ont multiplié les développements : BuzzFeed s’est lancé dans la production de news, de contenus TV et ciné, le lancement et/ou l’acquisition d’un portefeuille de marques, telles Tasty, Nifty, déploiement à l’international… Ces stratégies s’accompagnant d’une croissance forte des dépenses. Cependant, les recettes publicitaires, seules sources de revenus, n’ont pas suivi. Ces pure-players sont totalement dépendants des grands plateformes digitales, Facebook et Google, qui non seulement captent plus de 60% des investissements online des annonceurs, mais peuvent également modifier unilatéralement le fonctionnement de leur services, impactant les audiences et l’engagement. Ainsi, Facebook incite les marques à sponsoriser leurs posts en réduisant fortement le reach organique dans les Newsfeeds et le lancement de l’onglet Explorer, présenté par le réseau comme un « fil d’actualité alternatif », pourrait recueillir les posts organiques. Des problématiques auxquelles les pure-players français pourraient être confrontés, mais également les médias classiques. Lors du Colloque NPA-Le Figaro du 7 novembre dernier, deux positions sont apparues au sein de intervenants de la première table-ronde « Média locaux et régionaux : quelle offre à l’ère numérique ? ». Olivier Gérolami, PDG de Sud-Ouest, d’une part, admet une stratégie opportuniste : le groupe ne voit aucun avantage économique à être présent sur Facebook Instant Article, mais reconnaît un intérêt aux services de Google, tels Analytics et AMP, en termes de capacité de monétisation publicitaire. A l’inverse, pour Olivier Montels, Directeur adjoint du Réseau France 3, Facebook est un « partenaire », qui permet de toucher des utilisateurs dont l’âge moyen se situer entre 25-40 ans, quand les téléspectateurs de la chaîne France 3 ont en moyenne 61 ans. L’objectif prioritaire du Réseau France 3 est de valoriser les contenus du groupe, non de les monétiser, pour l’instant.
[1] Cf. Flash n°857 du 15/11/2017 : « Multiplication des médias « 100% vidéo – 100% Social ».