Alors que la concentration des sociétés de production s’accélère[1], avec pour objectif le développement de meilleures armes de négociation face aux diffuseurs et l’industrialisation de leurs formats d’émission pour les décliner dans de nombreux pays, et alors que la réglementation française limite la détention des droits ciné et TV, les chaînes de télévision sont au centre de toutes les attentions et sont obligées de réagir afin de ne pas rester isolées. C’est dans ce contexte, ajouté au succès actuel de la fictions française, que M6 puis Canal+ ont récemment annoncé la création de filiales françaises pour produire des fictions TV.
La récente prise de contrôle de la société de production Newen par le groupe TF1 en janvier 2016 avait suscité de vives réactions, portant notamment sur les risques d’intégration verticale de sociétés de production jusqu’alors indépendantes. Or, ces opérations de concentration ne sont que l’aboutissement d’un mouvement de convergence des médias qui réalisent une double stratégie d’intégration verticale : en aval pour les sociétés de production de contenus qui souhaitent maîtriser l’accès aux canaux de distribution et en l’amont pour les entreprises spécialisées dans la diffusion et/ou la distribution qui souhaitent investir dans les contenus.
Ainsi, pour résister face à la concentration des acteurs de la production TV et face à la concurrence des acteurs de la SVoD, le groupe Canal+ met tout en œuvre pour être propriétaire de ses œuvres alors que sa volonté de voir allégées ses obligations de financement dans la production de films et de séries a été accueillie froidement par la SACD notamment. Le groupe lance ainsi une activité de production en France qui lui permettra de produire pour ses chaînes et les autres, que ce soit en France ou à l’étranger. Studiocanal prolonge sa stratégie de développement dans la production de fictions TV qu’il avait commencé en faisant l’acquisition de différentes sociétés de production en Europe, avec une société de production britannique, un studio allemand, puis danois et enfin espagnol : « Studiocanal réalise 15% de son chiffre d’affaires dans la télévision (contre 60% pour le cinéma). Mais il souhaite monter à 25% en télévision, avec environ 20 séries par an »[2].
Le groupe M6 a également annoncé[3] sa volonté d’élargir les activités de sa filiale SND à la production de films et de séries TV pour le marché international. Jusqu’à présent, la filiale était chargée de développer, produire ou cofinancer des films français ou étrangers, puis les exploiter en France sur tous les médias. Encore une fois, la règlementation française est remise en cause : Nicolas de Tavernost « souhaite avoir la maîtrise des marques, pour des droits plus longs ». Ce besoin de la maîtrise des droits, le même que Canal+, passe d’une part par le contrôle de certains formats auprès des producteurs (Scènes de ménages par exemple) et d’autre part désormais par la production de fictions par le groupe lui-même, lesquelles ne seront donc pas dans le quota de productions indépendantes limitées en termes de détention de droits.
De son côté, le groupe TF1 produit déjà quelques fictions TV à travers sa société de production Newen (TF1 Production ne produit que des émissions de flux), dont le feuilleton quotidien Demain nous appartient. Mais alors que M6 prône de manière drastique la propriété des marques pour ne pas les laisser partir, TF1 est plus partageuse puisqu’elle laisse ses productions se négocier avec de puissants acteurs internationaux (Newen vient de signer avec Amazon la production de la série de 10 x 26 minutes Deutsch-les-Landes).
Sur les chaînes de France Télévisions, quelques fictions, généralement des unitaires, ont déjà vu le jour à travers trois labels de production, sous la responsabilité de la filiale MFP : Dalva Productions, Salsa productions et Epeios productions. Le feuilleton quotidien à venir sur France 2 va par ailleurs permettre au groupe de passer un cap dans la valorisation de sa production interne : la prochaine fiction emblématique du groupe (dont le nom de code est Grand Soleil) sera ainsi produite par MFP.
Enfin, Orange Content, via ses filiales Orange Studios et OCS est aussi en ordre de bataille pour produire de nouvelles fictions TV. En janvier 2018, la première création est ainsi annoncée : l’adaptation en série TV (8 x 52 minutes) du roman d’Umberto Eco (et du film de Jean-Jacques Annaud), Le Nom de la Rose. Dotée d’un budget supérieur à 23 millions d’euros[4], la série est coproduite avec la Rai et les sociétés 11 Marzo et Palomar. Une initiative qui ne s’arrête pas là puisque le groupe souhaite également produire prochainement pour la France.