Les fonctionnaires européens venus des différents Etats membres de l’Union et qui se plaignaient – de longue date – de ne pas pouvoir recevoir, à Bruxelles, les services de télévision proposés dans leur pays d’origine ont gagné : Les Echos indiquent que « les institutions européennes, réunies en trilogue (Conseil, Commission, Parlement) sont parvenues ce mardi à un accord final sur ‘’la portabilité’’ des contenus numériques » : le marché unique des abonnements aux services culturels (TV, mais aussi musique, jeu vidéo, presse, livre numérique…) sera bientôt une réalité. Elle s’imposera dès janvier 2018 aux services payants. Les services gratuits ne seront pas obligés, eux, de l’offrir.
Officiellement, au moins, l’objectif n’est pas de rebattre les cartes du paysage audiovisuel européen : la portabilité ne vise, en principe, que les « séjours temporaires » (vacances, année de césure pour des étudiants, mission temporaire pour des salariés…) et n’est théoriquement pas prévue pour permettre à un foyer européen de s’abonner de façon pérenne au bouquet proposé par un distributeur dans un Etat tiers.
Mais la difficulté qu’ont eue les responsables communautaires à définir cette notion de « séjour temporaire » fait à elle seule ressortir les risques de dérive qui découleront de leur décision : « plutôt qu’adopter un nombre maximal de jours à l’étranger où la mesure s’appliquerait, Bruxelles a opté pour des mesures de contrôle par les fournisseurs du service, rapporte Les Echos : ils pourront vérifier le pays de résidence d’un utilisateur via son adresse IP, mais aussi, pour éviter les contournements via des logiciels truquant l’IP, ses moyens de paiement ou son abonnement Internet, et suspendre le service en cas d’abus ». A charge donc, pour les distributeurs de télévision payante, de jouer les Sherlock Holmes afin de débusquer les abus.
Pas sûr que les abonnés acceptent facilement de devoir décliner l’ensemble de leur pédigrée numérique, ni surtout qu’ils comprennent aisément pourquoi ils peuvent continuer à bénéficier de leur abonnement Canal ou Sky pendant une expatriation à terme déterminé, mais pas dans le cas d’une installation à l’étranger sans date de retour définie.
Au final, c’est bien sur une « portabilité à durée indéterminée » que l’on pourrait déboucher, et avec elle sur une double déstabilisation :
– Fragilisation du marché des droits, dès lors que la notion de territoire d’exploitation deviendrait totalement aléatoire. S’agissant par exemple des compétitions sportives, quelle sera demain la valeur des droits de la Ligue 1 en dehors de la France, dès lors qu’il sera possible d’en suivre les rencontres légalement sur Canal+ et beIN SPORTS depuis l’ensemble de l’Union ? Les acteurs déjà habitués à négocier des droits pour le monde… c’est-à-dire principalement à date, Netflix et Amazon, seront probablement les mieux placés pour tirer leur épingle du jeu.
– Implosion du marché de la pay TV. La possibilité donnée au téléspectateur européen de faire son marché entre l’ensemble des bouquets du Continent lui permettra de faire un double arbitrage prix / attractivité des contenus et exercera une double pression : sur le tarif des abonnements, en aval, sur les coûts de distribution des services premium, en amont. Et l’impact pourrait être plus radical encore si certains opérateurs font du droit à la portabilité un cheval de Troie pour développer leur commercialisation dans l’ensemble de l’Union. Sky a annoncé il y a moins de 10 jours qu’il lancerait… en 2018, une box OTT permettant de recevoir ses bouquets par Internet, en Grande Bretagne mais aussi potentiellement, portabilité aidant, dans l’ensemble de l’Union. Coïncidence ou anticipation ? Ses alter egos européens, Canal+ en tête, ont une petite année pour y réfléchir.
@pbailly